Les Dossiers de l' Histoire Mai 1958 (suite)



Au-delà du 13 Mai 1958


Le dossier de la journée même du 13 mai a produit les pièces relatives aux rôles respectifs de Pierre Lagaillarde et de Léon Delbecque. Il nous a révélé l'attitude du général de Gaulle.
Les lendemains du 13 mai nous font maintenant connaitre :
     René Coty,    Pierre Pflimlin,    Jules Moch    et Raoul Salan.

Tandis qu'en Alger,    Delbecque s'interroge pour savoir s'il doit arrêter Salan et que le général parvient à se maintenir au-dessus des factions, une tâche énorme s'abat sur les épaules du président investi :    Pierre Pflimlin.

Ami de M. René Coty    (qui voit s'incarner en lui la grande tradition modérée dans la ligne Poincaré-Maginot),   M. Pflimlin n'est pas impopulaire en France.
Il n'en est pas de même en Algérie.

En effet,    si les déclarations de Pierre Pflimlin sont presque passées inaperçues en métropole,   elles ont révolutionné l'Algérie.    Colporté en Alger,   un article de Pierre Pflimlin paru    le 22 avril 1958    dans le Nouvel Alsacien lui a aliéné non plus les civils     - « ceux qui sont le dos au mur »     - mais encore les militaires.

Voici ce papier passé totalement inaperçu en métropole :


PIERRE PFLIMLIN :

« Nous refusons de nous laisser enfermer dans le dilemme raidissement ou abandon. Nous croyons qu'il existe une troisième politique, plus difficile à définir sans doute, plus difficile encore à pratiquer... Mais qui est cependant la seule capable de sauver les positions Françaises en Afrique du Nord.
Notre politique est d'engager des pourparlers avec les représentants de ceux qui se battent, pour déterminer les modalités du « cessez-le-feu » et les garanties qui entourent les élections que l'on pourra organiser dès le rétablissement du calme. »


Sur un tel programme,   Pierre Pflimlln ne pouvait etre investi en période normale, mais la légitimité républicaine lui a, face au coup d'Alger, apporté une majorité.
Peut-il tenir?
Ce que veut Pierre Pflimlin. c'est dés l'abord calmer ses ministres,:
  Pierre de Chevigné,   Vincent Badie,   Edouard Bonnefous,    Maroselli.


J.-R. TOURNOUX :

  -   Coupons-leur les vivres, affamons-les, ils capituleront.
  -   Non,
dit Pflimlin, je veux avant tout sauver l'unité nationale. Mais prenons des mesures conservatoires pour empêcher le mouvement de faire tache d'huile et interdire la circulation des agitateurs.


Jusqu'au bout, jusqu'à l'appel à de Gaulle et à sa démission. Pierre Pflinlin se montera semblable à lui-même : humain, généreux même et ce qui demeure un record pour un chef de gouvernement fantôme : jamais ridicule.


L'opinion

Désormais, une question se pose.
Pourquoi un chef de gouvernement,   courageux,   volontaire,   entouré de techniciens de l'ordre :   Jules Moch,   Albert Gazier,   d'hommes résolus tel Pierre de Chevigné   ou André  Mutter, est-il contraint d'accepter ce qui peut encore s'appeler une   « émeute »   avant de devenir une  «  révolution  » ?

Pourquoi ?    Parce que tous les complots gaullistes ou « a-gaullistes » destinés à renverser la IV. République servent désormais à immobiliser l'armée.

Pourquoi ?    Parce qu'il existe une opinion. Les théoriciens politiques et les sociologues ne sont pas encore parvenus à codifier les lois inconnues qui font que, d'un corps en apparence inerte, monte malgré tout un étrange réseau d'ondes, un sentiment puissant quoique inexprimé :    l'opinion.
Or, la IV République n'a pas pour elle   l'opinion.   Le régime   - le « système » -   n'est pas même détesté,   il laisse indifférent.
Tel romancier populaire (Dominique Ponchardier, compagnon de la Libération, qui signe Dominique sa fameuse série des Gorilles, inscrira en exergue du Gorille en révolution , une loi de physique :    « La nature a horreur du vide. »

Pourquoi ?    Parce qu'une notion économique nouvelle :   le crédit,   paralyse une partie de la classe ouvrière.    Les traites à payer en fin de mois rendent fatalement impopulaire la notion de grève politique.

Et maintenant, il nous faut revenir à Alger.

Un homme est à la barre :      Raoul Salan.
  -  Il atteint à l'époque 58 ans.
  -  Brigadier en 44, il s'adonna tout entier à l'Indochine jusqu'à l'heure où, au reçu de sa cinquième étoile, il dèvient commandant de la 10 région militaire d'Alger puis, dès l'émeute, responsable des pouvoirs civils et militaires pour l'Algérie.
  -  En un bref proconsulat, Salan écrit l'histoire.
  -   Le 15 mai, à 10 h. 45, le générai est au balcon du G.G.


J.-R. TOURNOUX :

« Manches kaki retroussées,   mosaïque éblouissante de rubans sur la poitrine,   le commandant en chef s'avance,   prononce une courte allocution :
    -   « Vive la France ! Vive l'Algérie Française ! ».

Il lève le bras,   salue,   se retourne à demi.   La foule ondule,   l'atmosphère est survoltée,   le peuple électrisé.   Sous le ciel bleu, c' est Marseille, Madrid et Naples réunies.
Ce sacré Delbecque est là,   statue du commandeur bourrée de magnétisme.
    -  « Criez donc : Vive de Gaulle » , glisse-t-il.

Salan n'a plus ses nerfs d'acier.
Comme dans un état second,   il pivote d'un quart de tour :   « Vive de Gaulle ! »


Le Général Salan au balcon du gouvernement Général
à Alger le 15 Mai 1958 à 10h 45



S. ET M. BROMBERGER :

De Gaulle est prêt depuis le 12 ,   depuis la lettre dramatique du général Ely annonçant les événements prédits par Lacoste,   annoncés même par le « Canard Enchainé »

Depuis le 13,   il est impatient d'intervenir,   mais il n'en voit pas la possibilité.
Le 15 mai,   le cri de Salan le décide à passer à l'action.
Mais comment engager le dialogue ?     Personne du système ne s'adresse à lui.
Il faut qu'il parle,   mais de telle manière que sa déclaration ne puisse tomber dans l'indifférence.

Le communiqué déconcertant du 15 mai est d'une habileté magistrale :

    « La désintégration de l'Etat entraine infailliblement l'éloignement des peuples àssociés,
    le trouble de l'armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l'indépendance.
    « Depuis douze ans,   la France,   aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime
    des partis,   est engagée dans un processus désastreux.
    « Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m'a fait confiance pour le conduire jusqu'au salut.
    « Aujourd'hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui,    qu'il sache que je me tiens
    prêt à assumer les pouvoirs de la République. »



Le communiqué s'arrête là,
    comme si des pages manquaient.
Ces pages qui manquent vont déchainer des imprécations qui commenceront le dialogue :

  -   On n'est pas plus bête !   s'écrie M. Guy Mollet,     plus maladroit !...

Les communistes sont décharnés.   La dictature est aux portes...   Ils rendent à de Gaulle le service de demander la convocation immédiate de l'Assemblée Nationale.

Le MRP tenant congrès à Saint-Malo,   la séance est remise au lendemain.


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