Les
Paras prendront-ils Paris ?
Le Mois de Mai 1958
Mais il va répandre dans le gouvernement et l'assemblée une véritable stupeur.
C'est Michel Poniatowski qui reçoit à Matignon le message apporté par Olivier
Guichard.
Il saute aussitôt au Luxembourg, où le chéf du gouvernement est allé
instruire le président du Sénat de sa rencontre nocturne avec le général.
M. Pflimlin est indigné, scandalisé.
- Mais c'est une tromperie. Il me fait passer pour un menteur.
- Il ne s'est pas engagé hier soir à faire respecter la légalité.
- Je ne me suis pas engagé envers lui à lui transférer le pouvoir.
- Comment peut-il dire qu'il a commencé hier soir la procédure régulière?
- A moins qu'il n'ait été mû par des raisons graves, supérieures.
- De Gaulle a joué avec Pflimlin comme
le chat avec la souris,
disait-on dans les couloirs de Matignon.
Cependant, Jules Moch téléphonait au président du Conseil,
- Calmez-vous! La première phrase du communiqué ne peut se comprendre qu'en lisant la suite..
- De Gaulle donne l'ordre à l'armée d'Algérie de ne pas bouger.
- Il ne pouvait le faire qu'en prétendant qu'il allait prendre le pouvoir.
- Il vous l'a expliqué hier soir.
- Je sais pourquoi il a dit cela. J'ai eu ce matin, à 10 heures, des informations sûres.
- Le débarquement était pour la nuit prochaine.
- Le général a dû recevoir la même nouvelle en se réveillant.
- Il a lancé aussitôt son communiqué pour arrêter les parachutistes...
La radio diffuse à 13 heures le communiqué. Maurice Schumann exulte:
- Il a gagné. Nous avons gagné. La France a gagné.
Un immense soupir de soulagement s'exhale de tous les coins de France.
Mais au Palais-Bourbon, le communiqué a soulevé un geyser de vociférations.
Personne ne comprend exactement la situation, puisqu'on ne sait rien.
La séance de la Chambre reprend à 15 heures dans le brouhaha.
Il s'agit d'examiner la nouvelle Constitution.
Les communistes ont lancé l'ordre de grève générale contre la menace de dictature.
Fiasco complet. Même le métro, qu'une manette suffit à stopper, continue à rouler.
On se précipite dans l'hémicycle pour entendre les explications du gouvernement.
Mais M. Robert Lecourt parait seul.
Il demande le renvoi de la séance à 21 heures :
- un conseil de Cabinet extraordinaire est réuni.
Au seuil du Conseil, M. Pflimlin cherche encore la détermination à prendre.
Il a eu le sentiment d'avoir été joué par de Gaulle décidé à brusquer les choses.
Mais la réflexion atténue cette amertume. Le péril devait être bien pressant, qui a
décidé le général à anticiper sur les événements.
De Saint-Cloud, le président du Conseil a aussi rapporté deux împressions :
celle de la loyauté de son interlocuteur,
sincèrement décidé à ne prendre le pouvoir que dans la légalité.
Celle aussi que le mot « légalité » n'a pas pour lui le même sens formaliste que pour un parlementaire.
Il est possible qu'il ait cru qu'une conversation politique
ouvrant la porte à d'autres conversations constituait le « processus régulier ».
Au fond, il n'y a qu'un mot déplacé dans le communiqué.
Le « processus d'une investiture régulière » n'eût pas été inexact.
Mais le général n'est pas un juriste.
En ce qui concerne l'urgence du péril, le président du Conseil est fixé.
Les révélations de Jules Moch ne font que confirmer tout ce qu'il sait, tout ce qu'il entend.,
Il a beau se boucher les oreilles pour conserver son sang-froid, tous les murs de Matignon retentissent de l'annonce du débarquement.
- Il n'est même pas besoin, dit-il,
de l'intervention directe d'Alger.
- Nous risquons le coup de force à chaque instant.
- Les préparatifs clandestins sont si poussés dans le Sud-Ouest, à Bordeaux, à Lyon, à Paris,
- qu'un incident local peut suffire à déclencher la solidarité de l'armée en faveur de ceux qui
- seront les premiers entrés dans la voie de l'insurrection.
Il racontera plus tard: ,
- Pendant dix jours, j'ai vécu avec la perspective de ne quitter Matignon que pour être fusillé.
Il est assailli de menaces de mort. A Strasbourg, sa femme reçoit des cercueils.
Leur villa sur la côte basque a été l'objet d'un attentat au plastic.
A tout hasard, Mme Pflimlin fait quitter le lycée à ses enfants et les envoie à la campagne.
En conseil, le chef du gouvernement raconte enfin à ses ministres son entrevue
secrète de la nuit.
Il leur dit sa stupeur à la lecture du communiqué.
Guy Mollet, appuyé par Jules Moch et Albert Gazier, l'encourage à la fermeté, sans formuler précisément les raisons de ce raidissement.
M. Pflimlin est de plus en plus étonné.
Il est parti la veille à Saint-Cloud ayant conclu un accord avec le leader S.F.I.O. pour préparer l'arrivée de de Gaulle, à condition que le général condamne la rébellion.
Après avoir refusé de le faire, à Saint-Cloud, le général a prononcé la condamnation à Colombey.
Pourtant le chef socialiste fait chorus avec les champions de la résistance.
En réalité, Guy Mollet pense que si M. Coty appelle ce soir l'homme de Colombey, celui-ci risque d'échouer à l'investiture.
C'est François Mitterrand et le Front Populaire qui pourraient bien être les
vainqueurs.
Jules Moch, de son côté, est en train de faire sa conversion.
Entre de Gaulle qui vient de stopper le débarquement et l'émeute, il a choisi.
Il ne fera rien pour lui barrer la route constitutionnelle.
Mais en attendant que son heure soit venue - que son parti ait évolué -
Il continue le baroud d'honneur de la résistance républicaine contre ceux qui veulent imposer
de force le général.
Mais comme tout cela ne s'exprime pas , sinon en formules sibyllines ,
les bonnes gens n'y comprennent rien. .
- Va-t-on démentir le communiqué qui arrête le déclenchement de la guerre civile ?
- Après une discussion confuse, il est décidé que non.
- On n'en est plus à une équivoque près...
Plusieurs ministres sont partisans d'une démission immédiate.
Trois sur quatre des Indépendants, membres du Cabinet, annoncent que
si M. Pflimlin ne se rend pas à l'Elysée pour remettre ses pouvoirs, ils lui
rendront leur portefeuille.
- Folie que cette démission, a dit Pinay.
- Vous allez créer la vacance du pouvoir.
- Vous voulez que ce soit l'insurrection qui investisse le
général ?
Pinay, Guy Mollet, bien d'autres ont le même souci que
Pflimlin :
- ne pas provoquer une catastrophe par une abdication
prématurée.
Pour la majorité des ministres qui se refusent à ce moment à
démissionner, ce qu'il faut surtout trouver, c'est une sortie décente. Ils ne
veulent pas partir en lâches.
- Si l'Assemblée avait la bonne
idée de renverser le Gouvernement...
- Justement, ce soir, il y
a un espoir.
- Le débat qui va se rouvrir est théoriquement
engagé sur la réforme de la Constitution.
- Il faut la majorité
des deux tiers.
- Il appartient au Parlement de prendre ses
responsabilités,
conclut Pflimlin faisant sur ce transfert l'unanimité du Conseil.
Mais le chef du gouvernement se rend bien compte
que ce baroud verbal ne peut continuer longtemps.
Devant l'armée insurgée,
l'Algérie et la Corse en rébellion, le débarquement menaçant, les scrupules des parlementaires à accueillir l'homme qui a rétabli le Parlement tournent aux
pudeurs de trop vieille jeune mariée.
De surcroît, la farouche
opposition socialiste tient surtout aux manœuvres de l'opposition personnelle
des minoritaires à Guy Mollet.
On commence à s'en rendre compte au
Parlement. Il est temps d'en finir avant que se répande le sang de la guerre
civile.
Dans quelques heures, il sera peut-être
trop tard.
A la tribune de l'Assemblée, M. Pflimlin évoque
brièvement sa rencontre avec de Gaulle à qui il n'a pas offert le pouvoir, comme
d'aucuns le prétendent.
- Le président du Conseil n'a oublié à aucun moment qu'investi par l'Assemblée,
- il ne pouvait remettre qu'entre vos mains le mandat qui lui a été confié.
- « J'apprécie les mots qu'a prononcés le général , ajoute-t-il,
désapprouvant ce qui peut mettre en cause l'ordre public... Pour le gouvernement,
le chemin du devoir est clairement tracé : nous ne créerons pas la vacance du pouvoir. »
Il faudrait être instruit des soucis et des scrupules de l'ancien juge d'instruction alsacien pour comprendre
ce qu'il veut dire. L'équivoque lénitive continue.
C'est Bidault qui la rompt, réclamant la lumière, tourné vers Guy Mollet.
- Le général n'est pas venu à Paris sans qu'on le lui ait demandé...
Cette phrase: « J'ai entamé le processus », n'aurait pas été écrite
s'il n'y avait eu des échanges, des demandes
claires et pressantes.
Mais Guy Mollet reste silencieux.
- Le «processus» implique la crise ministérielle, lance Pierre Cot. Qui croire ?
- De Gaulle ou Pflimlin ?
- Nous nous suspendrons à vos basques pour vous empêcher de partir.
La
barbiche de M. Ramadier tremble d'émotion quand il s'adresse, au nom des
socialistes, au président du Conseil:
- Vous n'avez pas le droit d'abandonner...
- Même sous la contrainte physique, vous n'auriez pas le droit.
Mais ces émotions et ces éloquences masquent mal une réalité qui est
partout évidente,
sauf dans la maison sans fenêtres.
- Sauver la
République, bien sûr, mais qui donc peut la sauver, sinon le général de Gaulle ?
demande M. de Lipkowski.
Si vous avez dû lui demander d'être votre intercesseur auprès de vos légions, c'est que vous ne pouvez plus vous faire obéir que par personne interposée.
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