Les
Paras prendront-ils Paris ?
Le Mois de Mai 1958
En face du putsch militaire, M. Jules Moch, âme de la résistance,
fait le compte de ses forces.
L'armée ? Des regroupements de troupes ont été ordonnés le 25 mai
autour de Paris.
Mais ce sont de vaines mesures. Il n'y a pas de troupes de combat dans
la métropole, sauf quelques unités comme le 2 Groupe Blindé de Rambouillet
et de Saint-Germain, les paras du Sud-Ouest qui sont précisément les
forces de choc de la rébellion.
Le reste ? 300 000 recrues qui font quelques semaines d'instruction avant de
partir pour l'Algérie.
La Gendarmerie Mobile ? Elle appartient à la fois à l'armée et
aux pouvoirs civils sous les ordres des commandants de garnisons et
des préfets. Elle obéira aux militaires.
Les C.R.S. ? Depuis quinze jours, loin de leurs familles, ils mènent une vie harassante. Ils sont postés aux points stratégiques. Ils jouent les carabiniers du Châtelet.
Leurs cortèges de camions défilent continuellement
dans Paris, avec quatre casques seulement à l'interieur pour faire croire à leur nombre.
On a essayé de les armer. Mais ces forces de l'ordre, habituées à la matraque et à la grenade lacrymogène, ont fait grise mine aux mitrailleuses, aux fusils-mitrailleurs, aux grenades offensives qu'on leur a offerts.
Il n'y a pas eu un refus d'obéissance, mais leur mauvaise volonté à recevoir
la panoplie du combattant de guerre civile a été si évidente qu'on a renoncé à la
leur distribuer.
Jules Moch, cependant, compte ferme sur la première Compagnie de Sécurité Urbaine qui garde l'Intérieur.
Mais un haut fonctionnaire du ministère vient ce soir lui tendre une clef.
- L'appartement de mes parents en vacances, dit-il.
- Vous y serez en sécurité.
- Personne ne connaitra votre adresse, que votre chef de cabinet et moi !
- Le téléphone direct avec la place Beauvau est installé.
Jules Moch a repoussé la clef et la désertion nocturne.
La police ? Il sait depuis le 13 mars qu'il n'y a pas à compter sur elle.
Ce soir-là, sortant du Palais-Bourbon, il a vu défiler les agents et les inspecteurs huant les députés.
Il a entendu des cris de « Mort aux Juifs ».
Les 20 000 , gardiens de la paix de Paris sont en majorité « didistes », gagnés au mouvement du commissaire Dides pour un régime autoritaire.
On parle beaucoup au Palais-Bourbon de recruter et d'armer des milices ouvrières.
Le parti communiste peut mobiliser à
toute heure 10.000 hommes,
ses troupes d'assaut toujours prêtes, qui comptent
nombre d'Algériens.
Il peut négocier un accord avec le F.L.N., faire appel aux exécuteurs armés.
Il y a 400 000 Algériens en France.
Nombre d'entre eux pourraient être encadrés en bataillons pour la guerre de rue.
- Jamais nous n'avons songé à cela, dira plus tard le ministre de l'Intérieur.
En revanche, M. Jules Moch a donné aux Igames des instructions extrêmement
rigoureuses.
- Préfets et sous-préfets doivent établir un contact étroit avec les
organisations ouvrières,
- même communistes,
- éveiller dans le pays, par des grèves, des réunions, des délibérations municipales;
- des manifestations, l'esprit de la défense-républicaine.
Le général de Gaulle est averti des préparatifs militaires qui sont faits pour
imposer son retour au pouvoir. Le général de Beaufort lui en fait exposer le détail
au nom du général Ely qui coiffe l'opération à travers son collaborateur pour en
empêcher le déclenchement autant qu'il sera possible.
Mais le maitre de « Résurrection » , c'est Alger. Le général de Gaulle a fait
demander au général Salan de lui envoyer des représentants qualifiés.
Il les attend. La résistance qu'il oppose au putsch ne peut avoir d'efficacité prolongée.
Il n'y a qu'un moyen décisif de contrer l'intervention militaire:
c'est de réussir son investiture légale.
Ce matin, après l'échec de sa rencontre nocturne avec Pflimlin, on lui répète
qu'Alger ne veut plus attendre. L'échéance prévue du 28 mai sera respectée.
Il n'y a plus que trente heures pour stopper l'avalanche des paras. Il s'assoit à sa table et rédige un communiqué:
« J'ai entamé hier le processus régulier
nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain. Dans ces conditions,
toute action de quelque côté qu'elle vienne, qui met en cause l'ordre public, risque d'avoir de graves conséquences. »
« Tout en faissant la part des circonstances, je ne saurais l'approuver. J'attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie, qu'elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs, le général Salan, l'amiral Auboyneau, le général Jouhaud. »
« A ces chefs, j'exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux.»
A 10 h 45, Olivier Guichard, rue de Solférino, où siègent les bureaux du général à Paris, est appelé par Colombey. La
voix de de Gaulle est sèche.
- Portez immédiatement ce message à la connaissance de M. Pflimlin !
En ce temps, Olivier Guichard reçoit l'ordre de faire parvenir au général Salan un message personnel conçu à peu près dans les mêmes termes, mais plus catégorique encore, interdisant à Alger toute opération contre l'ordre public.
Ce télégramme, de Gaulle, par une astuce qui est un trait de génie, a décidé de le faire passer par la voie officielle. Il est transmis à 11 h 30 au général Lorillot, chef d'état-major général, l'homme le plus malheureux de l'armée depuis qu'il a
accepté de remplacer le général Ely, ce qui le désigne à la fureur des officiers
partisans d' Alger.
Lorillot est un chef au caractère impossible, mais d'une droiture remarquable.
Ayant remplacé Ely à son corps défendant et d'ailleurs conseillé par son prédécesseur
qui s'est enfermé dans son appartement aux Invalides, il a fait sienne la doctrine
de l'unité de l'armée. Il sert de guichet télégraphique au général de Gaulle pour
ses communications avec Alger.
Quoi qu'il en soit, le chef d'état-major général qui doit, auprès du gouvernement, faire face au débarquement le lendemain soir, pousse une exclamation de délivrance:
- De Gaulle bloque le débarquement.
Et par la voie officielle, encore. Il est formidable!
Il téléphone aussitôt ses remerciements au colonel de Bonneval.
De son bureau des Invalides, il se précipite rue Saint-Dominique chez
M. de Chevigné, pour obtenir l'autorisation de transmettre le câble à Alger.
M. de Chevigné donne l'autorisation.
Dans l'après-midi, le général Miquel recevra à Toulouse un câble codé d'Alger:
« Action prévue n'est plus envisagée pour le moment. »
Le communiqué du général arrêtant le débarquement va provoquer en France
une d é t e n t e immédiate et considérable.
De Gaulle se fait le rempart de la République.
Il révèle aussi ce qu'on ne faisait que soupçonner : la rencontre de la nuit.
De Gaulle est sur le chemin du pouvoir.
Manifestation du 28 Mai 1958 à Paris
Organisée par les partis et Syndicats de Gauche .
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