Les Paras prendront-ils Paris ?




Le Mois de Mai 1958   (fin).



Des ministres de plus en plus nombreux espèrent qu'un vote partagé de l'Assemblée va leur ouvrir la porte du gouvernement-piège dont ils cherchent à sortir.

Mais M. Jacques Duclos intervient:
  -   Nous ne vous donnerons pas d'alibi.
  -  La France saura que votre texte de réforme a été adopté mais que vous avez pris la fuite
  -  pour céder la place à l'usurpateur.


Et les votes communistes de faire au gouvernement une majorité triomphale, dérisoire :
            405 voix contre 165.

Il est minuit passé.   Ce 27 mai dramatique,   déconcertant,   incompréhensible de l'extérieur des coulisses,   vient de s'achever en portant l'imbroglio à son comble.
Le M.R.P. vote une motion interdisant à son président d'abandonner le pouvoir à l'instant même où celui-ci se prépare à démissionner.

Il est 2 heures du matin,   ce 28 mai,   quand le ministre des Affaires étrangères de M. Pflimlin dresse en conseil de Cabinet ce bilan d'un ministère d'ectoplasmes.
Quelques heures plus tôt, le président du Conseil a fait une déclaration sibylline à l'Assemblée:
  -   Je ne laisserai pas se créer la vacance du pouvoir.

Dans sa voiture,   en sortant de l'Assemblée,   M. Pflimlin a confié ses sentiments à son  directeur-adjoint de Cabinet,   Michel Poniatowski :

  -   C'est maintenant qu'il faut ouvrir le chemin à de Gaulle.
  -   Je viens d'en avoir la certitude, la conviction absolue.
  -   Jusqu'à ce soir, on risquait la guerre civile, l'illégalité, si j'avais démissionné trop tôt.
  -   Maintenant, nous risquons la guerre civile si je ne démissionne pas avant demain.
  -   Mais comme je l'ai dit à l'Assemblée, je ne veux pas ouvrir la vacance du pouvoir.
  -   Je ne veux apporter au président Coty qu'une démission à terme, conditionnelle,
  -   lui donnant le temps de rechercher à loisir les moyens de faire accepter de Gaulle à l'Assemblée.


Devant ses ministres, à Matignon, le président du Conseil expose la situation dramatique.

Puis, à 3 heures du matin, il apporte à l'Elysée, au chef de l'Etat sa démission à terme, pour lui donner le temps d'explorer les voies par lesquelles de Gaulle pourra accéder à l'investiture.

Les deux hommes d'Etat pèsent longuement le pour et le contre.
Ils tombent d'accord sur un point:

   le général veut certainement venir dans la légalité.
   Mais sa conception de la légalité est très éloignée de celle des juristes.
   D'après l'entretien de Saint-Cloud et les conversations tenues avec ses collaborateurs,
   de Gaulle paraît penser qu'il suffit que le gouvernement démissionne et que le président de
   la République l'appelle pour qu'un message le présente à l'Assemblée et qu'il mette les Chambres
   en vacances pour deux ans.
   Il faut donc obtenir de lui qu'il renonce à cette simplification des formalités constitutionnelles.
   Il faut d'autre part obtenir l'adhésion préalable des partis et notamment du parti socialiste
   farouchement opposé à son investiture.
   Cela ne peut se faire en quelques heures.


  -   Il n'y a pas d'autre alternative que de Gaulle ou la guerre civile,    insistait Pflimlin.
  -   Choisissons de Gaulle,   mais faisons en sorte que cette solution n'intervienne pas trop tôt
  -   pour qu'elle reste une solution parlementaire.
  -   Le choix du moment a une importance capitale.
  -   Et croyez-moi, nous pouvons compter sur le général.
  -   il tient trop à la légalité pour ne pas faire les gestes nécessaires.


A 4 heures du matin,    M. Coty s'était rangé à l'avis du président du Conseil qui lui remettait sa démission à terme.
Quand,    dans la nuit blafarde où les projecteurs allument une fausse aurore,    M. Pflimlin,   blanc comme un cierge,   les traits ravagés par la fatigue,   annoncera dans la cour de l'Elysée sa démission-retard,   personne n'attachera d'importance à la nuance.

Cette nuance permettra cependant au chef de l'Etat de déblayer les obstacles qui encombrent la route de Colombey à la rue de Varennes et d'éviter des heurts auxquels la République n'eût peut-être pas survécu.

ULTIMATUM D'ALGER AU PRÉSIDENT COTY:
D'ICI DEMAIN 15 HEURES   (Le 28 mai)


M. Pflimlin et ses ministres démissionnaires sont allés se coucher, délivrés.

M. René Coty ne se couche pas.
Avec la lettre de démission du président du Conseil dont la date reste en blanc sur la table, c'est à lui de mener le grand jeu, de sauver la République ou de la perdre, d'amener de Gaulle au pouvoir dans la plus stricte légalité, ou de laisser se déchainer la guerre civile.

A 5 heures du matin, M. Coty appelle en consultation le président de l'Assemblée.
Il recevra un peu plus tard le président du Sénat.
Il a soixante-seize ans et ses collaborateurs se demandent par quel miracle Il tient debout.
Il ne dort pratiquement plus depuis le 15 avril, alors qu'il prenait dix heures de repos par nuit.

  -   Je n'aurais pu soutenir ce train quand j'avais vingt-cinq ans,   dit-il.

Au milieu de la tourmente qui menace d'emporter le régime, il conserve un sang-froid étonnant.

Il est cependant soumis à une guerre des nerfs hallucinante.
Les visites se succèdent à l'Elysée pour lui demander d'en finir.
Les nouvelles du coup d'Etat militaire menaçant lui arrivent par les canaux les plus divers.

Ce matin du 28 mai cependant, la solution est en vue.
La voie est libre pour l'appel que le président veut lancer depuis longtemps.
Mais les difficultés commencent.

Il n'y a pas de pont entre Colombey et l'Elysée.
Le général a marqué le 8 mai son désir, au cas où le Président ferait appel à lui, de procéder par échange de lettres secrètes pour éviter de passionner l'opinion par des visites à l'Elysée.
Il ne veut venir faubourg Saint-Honoré que pour apporter son acceptation, ayant reçu auparavant l'assurance de l'adhésion des partis à ses projets et du vote favorable des Assemblées, sans qu'il ait eu à paraître devant elles.

Or, la Constitution ne permet pas à M. Coty d'écrire ces lettres.
Et l'adhésion du Parlement est encore à obtenir de A à Z.
Si la montagne ne vient pas à Mahomet... Mais comment remuer la montagne?

Le général avait bien accepté, au cours de sa conversation avec Pflimlin de rencontrer les leaders parlementaires, suggère M. Merveilleux du Vignaux, secrétaîre-général de la Présidence de la République.
Il est déjà venu à Saint-Cloud pour rencontrer le président du Conseil.
On pourrait lui proposer une conférence à Saint-Cloud, avec les représentants du chef de l'Etat.

Ce ne serait pas l'Elysée.
Il y a là une idée...

Cependant, à Paris, la journée n'est pas retenue pour de Gaulle.
Elle est promise au Front Populaire.
Le parti socialiste a organisé à 17 heures - bien que toute manifestation soit interdite - un défilé de la Nation à la République, une démonstration de défense républicaine.

M. Guy Mollet, leader du parti qui l'a organisée, n'y participe pas.
Pendant que M. Depreux s'écrie:
  -   « Paris a dit non à de Gaulle »,
   il est à l'Elysée en train de préparer le « Oui ».

Le président Coty délibère, en effet, avec les leaders des trois grands partis nationaux:
  Antoine Pinay, P .-H. Teitgen et Guy Mollet:

Le président de la République est plus que soucieux.
Il vient de recevoir des   « informations »   du général de Beaufort qui doit commander à Paris l'opération   « Résurrection ».

Le débarquement bloqué le 27 mai par le général de Gaulle avec sa déclaration:
   « J'ai entamé le processus régulier... »   se déclenchera le 30 mai à 1 heure du matin.

Dernier délai pour le stopper : le 29 mai, 15 heures.

Seuls mots pour l'arrêter :   « De Gaulle au pouvoir. »
C'est un ultimatum.



Le Général de Gaulle à Alger
Le 4 Juin 1958.

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