Les Dossiers de l' Histoire Mai 1958 (fin)



Au-delà du 13 Mai 1958






JULES MOCH :


Pflimlin rencontre seul de Gaulle dans la nuit du 26 au 27.
La conversation se prolonge pendant deux heures.
Pflimlin demande d'abord une prise de position sur l'affaire corse.
De Gaulle répond qu'il souhaite un communiqué plus général,     englobant l'avenir autant que le passé.
L'accord ne se fait pas.
Le général offre un deuxième entretien,   également secret,   avec les divers dirigeants des partis nationaux.     Pflimlin ne peut s'engager que pour lui-même.
L'entrevue se termine sans résultat tangible et   de Gaulle repart pour Colombey    où il arrive le 27,   vers 5 heures du matin.


Où en est la situation,. ce mardi 27 mai ?

S et M. BROMBBRGER :

Ce mardi 27 mai, la crise atteint à son paroxysme... A 10 heures du matin, le ministre de l'Intérieur, M. Jules Moch,    est saisi d'un rapport circonstancié :
    le débarquement en France est pour demain dans la nuit.


Le meme jour,   à 10 h. 15,   le général de Gaulle téléphone à son bureau de Paris.
Il dicte un communiqué.


GÉNÉRAL DE GAULLE :

J'ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain.
Dans ces conditions, toute action de quelque côté qu'elle vienne, qui met en cause l'ordre public, risque d'avoir de graves conséquences.
Tout en faisant la part de circonstances,   je ne saurais l'approuver.   J'attends des forces terrestres, navales et aérienlles présentes en Algérie,   qu'elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs le général Salan, l'amiral Auboyneau, le général Jouhaud.

A ces chefs,   j'exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux.



Ce communiqué, diffusé immédiatement, va faire l'effet d'une bombe... atomique.

JULES MOCH :

Ceux au courant de la conversation noctune sont stupéfaits et inquiets.
Car ce texte ne traduit pas les faits :   il n'a pas été question, entre de Gaulle et Pflimlin, d'une passation de pouvoirs,   mais seulement du désaveu de la sédition corse et d'une éventuelle réunion secrète future.
Que signifie dès lors ce communiqué, qui ulcère Pflimlin, du fait qu'il contre-dit le récit par lui de l'entretien nocturne ?
Certains y voient une manœuvre pour forcer les événements; elle serait indigne de de Gaulle, dont la loyauté et le sens de l'honneur sont indiscutés.
Mon sentiment est alors qu'il a reçu, le matin de son retour à Colombey, des renseignements alarmants   - je viens moi-même d'en obtenir de sérieux qui me font redouter la soirée de ce même 27 mai -   et qu'il a voulu, par cette publication, rendre ces événements impossibles.
En lisant ce texte, j'éprouve donc un grand soulagement et le dis à mes amis.


Et, comme il l'a annoncé, le général de Gaulle a pris immédiatement contact avec Alger.
Nous devons à J.-R. Tournoux la publication du télégramme capital adressé le même jour à Alger, et que l'on ignorait jusqu'à présent :


GÉNÉRAL DE GAULLE :

« Veuillez m'envoyer dès que possible un mandataire militaire.   Stop.
Il s'agit pour moi d'être informe de votre situation et de celle des forces sous vos ordres.   stop.
Il s'agit pour vous de recevoir communication de ma manière de voir et de mes intentions dans la situation actuelle du pays.   stop.
Communiquez à l'amiral Auboyneau et au général Jouhaud le texte de ce message qui vaut pour eux comme pour vous.   Stop.
Mon Cabinet se tient en contact avec le général Lorillot.   Stop.
Soyez assuré de ma cordiale confiance.     - Signé :   Général de Gaulle. »



Dès lors, Alger et Paris sont pleinement d'accord : seul le recours à de Gaulle est possible.
La nouvelle est rendue officielle le 28 :     M. Pflimlin démissionne.
Mais comment assurer la passation des pouvoirs ?


JULES MOCH :

Je suggérai qu'une mission d'information fut confiée sur-le-champ à Vincent Auriol auprès de de Gaulle.   J'étais persuadé qu'un communiqué de l'Elysée accouplant les deux noms calmerait les esprits et qu'un contact direct clarifierait la situation.

En fait, Auriol se récusa.   Ce furent les présidents des deux Assemblées, le Troquer et Monnerville, qui furent chargés de cette mission dans la nuit du 28 au 29.


Cette entrevue n'avait jamais été racontée dans tous ses détails avant que J.R. Tournoux n'en publie l'extraordinaire compte rendu suivant :

J.-R. TOURNOUX :

Dans la soirée,   le général se trouve à Saint-Cloud.   Il attend.   Il n'aime pas cela.
A 23 heures,   M. Le Troquer arrive :
  « Je ne vous appelle pas Mon général,  mais Monsieur le Président. »
Mauvais début.   M. Le Troquer a affirmé maintes fois qu'à l'Hôtel de Ville de Paris, en Août 1944,   il souffla à de Gaulle, in extremis, un   « Vive la République »  qui avait été laissé pour compte à la fin de l'allocution.
M. Monnerville arrive à son tour.     Ah ! mémorable dialogue nocturne !
  ... André Le Troquer bat l'espace de son bras valide, ses propos atteignent le débit d'une mitraillette.

Très exigeant au départ et agoraphobe,   le général dit :   « Voici mes conditions. »
Il veut :    1° s'abstenir des visites traditionnelles aux présidents des Assemblées;
               2° se dispenser de la litanie des consultations avec les chefs de groupe ;
               3° ne pas assister au débat sur son investiture à l'Assemblée Nationale.

  « Inacceptable !   C'est inconstitutionnel !     clame André Le Troquer.
    Je vous connais bien depuis Alger !
    Vous avez l'âme d'un dictateur !
    Vous aimez trop le pouvoir personnel ! »


De Gaulle écoute,  méprisant :
  « J'ai restauré la République, Monsieur Le Troquer »

Le Troquer :
   « Vous la sabordez, maintenant !
  Il faut que vous vous présentiez devant l'Assemblée, en vertu de la Constitution.
  Jamais, jamais, je n'accepterai une autre procédure.
  Je trahirais ma charge ! »


De Gaulle pose encore deux conditions :
  -   disposer, pendant une période d'un an au minimum (il avait parlé précédemment de deux ans) de tous les pouvoirs, y compris les pouvoirs constituants ;
  -   jusqu'à la fin de cette période exceptionnelle, envoyer les députés aux champs.

    Maximum     maximorum !

Les répliques fusent,   rapides,   percutantes.   M. Le Troquer lance des ruades.
M. Gaston Monnerville se rend compte que s'il ne coupe pas le dialogue, il n'ouvrira jamais la bouche.

  « Ecoute,   dit-il à M. Le Troquer,   tu n'es pas ici pour exposer tes griefs personnels.   Ensuite, je voudrais bien aussi donner mon avis. »

Le président du Sénat s'adresse maintenant à de Gaulle :
  « Mon général,   permettez-moi de vous le dire :   vous devez vous présenter devant l'Assemblée.
  « Vous nous affirmez que vous n'entendez pas revenir au pouvoir autrement que dans les formes légales   - et je ne doute pas un seul instant de votre parole.     Eh bien ! les formes légales sont inscrites dans la Constitution...
  « D'autre part, vous ne pouvez nous demander de ne pas convoquer les Assemblées le deuxième mardi d'octobre.   Constitutionnellement, c'est impossible.   Moi-même, qui souhaite votre retour, je m'y opposerais ! »


De Gaulle : « Comment impossible ? »
G. Monnerville : « Reportez-vous au texte des institutions ! Nous sommes obligés de convoquer l'Assemblée le deuxième mardi d'octobre. Agir autrement serait commettre un acte de forfaiture. »
De Gaulle : « On ne m'a pas dit tout cela ! »
G. Monnerville : « On a eu tort. Comprenez que nous sommes là pour défendre la Constitution et l'Honneur. »

De Gaulle réfléchit.
Il semble très frappé par ces arguments et aussi par l'égale fermeté des deux présidents :
    l'une,   courtoise,   d'un homme qui facilite la tâche,
    l'autre,   abrupte,   d'un homme qui ne souhaite pas son retour.

De Gaulle : « Mais vous savez très bien que jamais les parlementaires ne parviendront à accoucher d'une Constitution. Vous l'avez constaté vous-mêmes. Nous n'aboutirons qu'à des solutions partielles et dérisoires! »

Le Troquer (à Monnerville) : « Tu vois !   C'est le viol de la Constitution !   La République en l'air !   Eh bien! Non ! »

G. Monnerville (à de Gaulle) : « Je serais infiniment triste si vous répondiez par la négative.
« Ce n'est pas à vous que l'on parle d'honneur, de patriotisme et de dévouement à la Nation.   Toute votre vie, c'est cela.   Je vous demande instamment de réfléchir.   Ne répondez pas ce soir.   Je suis un fils de l'outre-mer.   Personne d'autre que vous ne pourra aboutir aux grandes mutations nécessaires.   Pour toutes les populations de l'outre-mer, vous êtes l'homme de Brazzaville.
« Si vous ne réalisez pas ces réformes,   je n'ai pas d'illusions :   la sécession suivra avant peu d'années.   Vous seul, mon général, pouvez construire la grande Communauté. » .


Des larmes, oui,   des larmes,   perlent aux yeux du général qui lentement,   un peu las, laisse tomber ces mots :   « Je réfléchirai.   Le retour de de Gaulle est-il possible ?   N'est-il pas possible ?   Après tout, vous savez, la France nous enterrera tous.   Nous passons.   Elle seule est éternelle.   Si mon retour n'est pas possible,   je rentrerai dans mon village avec mon chagrin. »

Exit de Gaulle.


Tout est-il perdu ?   M. Le Troquer le voudrait bien.   Il nourrit des désirs secrets.   Il a appris que le président Coty, passant outre aux traditions, allait s'adresser par message au Parlement.   Il espère que René Coty sera mis en minorité et contraint à démissionner.
Dans ce cas, constitutionnellement,   M. le Troquer le remplacera.
A M.Naegelen, il confie :   « Voilà, Coty cède. Je m'installe à l'Elysée et je te charge de former le gouvernement ».

A quoi, M. Naegelen répond :   « Tu es fou !   Si tu vas à l'Elysée,   tu n'y resteras pas un quart d'heure ! »

Voici l'horaire des événements de ce 29 mai :
15 heures : Lecture rapide et monocorde par M. Le Troquer du message de Coty :
    « de me suis tourné vers le plus illustre des Français... »
15 h. 55 : La presse publie les lettres qu'ont échangées de Gaulle et Vincent Auriol.
19 h. 30 : De Gaulle arrive à l'Elysée.
21 h. 30 : De Gaulle accepte.


JULES MOCH :

Les 30 et 31 mai,   les négociations se poursuivirent,   tandis que, devant prévoir le pire de par mes fonctions,   j'ordonnais la fermeture d'une autre série d'aérodromes dans le Sud-Ouest,   des mesures de renforcement de la police,   la préparation, par les préfets, de postes de commandement hors de leurs préfectures et de liaisons par radio entre ces emplacements et l'Intérieur, etc...

Le 1er juin, enfin,   de Gaulle,   ayant négocié les deux jours précédents et désigné une première tranche de son gouvernement, fut investi à 105 voix de majorité.


C'en est fait.     La « Quatrième » a abdiqué.

A Alger,   on pavoise...   mais déjà certains s'inquiètent.
Quand le général de Gaulle y arrive,   il demande à Lucien Neuwirth :
  -   Alors, Neuwirth, vous êtes content?
  -   Oui, mon général, mais...
  -   Mais quoi?
  -   Vous êtes entouré par quelques beaux salauds,   mon général !


Alors la réponse claque :
  -   Neuwirth,   il faut savoir si vous avez confiance ou non.   Au-dessus de nos querelles,   sachez-le,   il y a la France.


J.-R. TOURNOUX :

Le général de Gaulle le sait-il aujourd'hui ?
La composition inattendue de son gouvernement provoqua de tels remous que son voyage fut précédé d'une conférence ultra secrète d'état-major, réunie sur l'initiative du général Miquel (chef métropolitain du plan « Résurrection »)...

Faut-il continuer la révolution ?     Aller au-delà de « l'instant de Gaulle » ?
La question se pose.     Mais brutalement, Salan se prononce :
  « Faisons confiance à de Gaulle. Et, surtout, veillons à l'unité de l'Armée.
  Mais restons vigilants ».


C'est donc sur un « suspense » que se referme la dernière page de ce dossier.

Un suspense qui trouvera son rebondissement - tragique - le 24 janvier 1960...



Le discours de Mostaganem.
Devant 100.000 personnes composée de 90 % de musulmans.
de Gaulle terminera son discours en criant

Vive l' Algerie Française

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