La Vraie Bataille
d'Alger en 1957
- A l'Arba, gros village de la Mitidja, proche d'Alger, le colonel Argoud, commandant le sous-secteur,
décida, m'a-t-on raconté, dès les premières heures du jour de ce même 28 janvier, de prendre des mesures spectaculaires contre les commerçants
grévistes.
- Accompagné de quelques officiers et suivi d'un blindé de son régiment, le 3° chasseurs d'Afrique.
Le Colonel Antoine Argoud. .
il s'avança sur la grande place du village.
Tous les rideaux de fer des magasins étaient baissés.
Au milieu de la place, il s'arrêta puis, d'une voix
forte, donna l'ordre d'ouvrir ces rideaux.
Comme aucun rideau ne se levait, il dit alors, en substance :
« Vous l'aurez voulu. La colère du ciel va s'abattre sur vous. »
Concluant ainsi son avertissement, il fit un geste :
Le blindé, qui attendait, lâcha un obus sur le rideau de fer placé devant lui.
Il y eut un vacarme épouvantable et une pluie de débris.
« Vous l'avez voulu », ajouta Argoud, très digne.
Cependant, son adjoint le tirait par la manche et lui murmurait à l'oreille :
« Mon colonel, je suis blessé. »
Il avait, effectivement, été atteint par un petit ricochet.
Ce jour-là, il y eut à l'Arba une activité normale.
- Les grands services étant en route :
- Les paras entamaient une patiente chasse aux suspects.
- Tous les chantiers sur lesquels se trouvaient des grévistes étaient contrôlés.
Il n'était pas facile de déterminer quels étaient, parmi les grévistes, ceux qui avaient un rôle actif.
En règle générale, les contrôles d'identité ne soulevaient aucune protestation.
Souvent l'attitude des grévistes ne comportait pas d'hostilité.
Il était exclu de leur demander : « qui est le chef, îci? »
Mais quand, sur un chantier de construction, le sous-officier para identifiait,
après contrôle des papiers :
douze maçons et un chômeur (bien habillé),
Il n'hésitait pas à « embarquer » le chômeur, qui prenait le chemin du camp de Ben-Aknoun.
- La conséquence essentielle de cette grève fut de donner aux
parachutistes des responsabilités
bien plus vastes que celles prévues à l'origine.
La différence :
Dès les premières heures de la journée du 28, ils apparurent comme le suprême recours,
l'autorité seule à
même de résoudre tous les problèmes.
- Dans la matinée, les transitaires du port d'Alger s'aperçurent
que les dockers étaient en grève.
Or beaucoup de bateaux attendaient d'être déchargés rapidement :
- la grève ne pouvait qu'avoir des conséquences coutteuses.
- Porte-parole de ses pairs, le président du syndicat des transitaires s'adressa à moi :
Puisque j'avais fait marcher les tramways
évité les coupures de gaz et d'électricité,
ne pouvais-je rendre au port une vie normale ?
- Une action fut vite montée :
les dockers défaillants seraient remplacés par les « suspects » qui,
depuis deux jours, s'entassaient à Ben-Aknoun.
Encadrés par des soldats du génie parachutiste,
ils prirent le chemin du port et travaillèrent jusqu'au soir, sans histoires.
Comme ils allaient remonter dans les camions pour rentrer au camp, la journée finie,
un homme porteur d'une sacoche s'approcha de l'officier chef du détachement qui les gardait :
- c'était le comptable du syndicat des transporteurs, apportant la paye.
- Toute peine mérite salaire.
- Les dockers involontaires reçurent le leur.
- Le retour fut joyeux.
Lors d'un arrêt, des gens s'assemblèrent autour des camions.
Apprenant que les pensionnaires de Ben-Aknoun travaillaient, certes,
mais mangeaient et étaient payés, un homme sauta dans un des camions :
à l'arrivée, non seulement il ne manquait personne, mais il y avait un prisonnier de plus
Maintenir une vie normale dans Alger fut ma grande préoccupation les jours suivants.
L'armée et, plus spécialement, les parachutistes apporta son aide aux grands services urbains.
- Une division de quelque 10 000 hommes ne représente pas grand-chose, répartie sur une agglomération comme celle d'Alger. Il fallait maintenir un contrôle constant sur les activités les plus diverses intervenant dans la vie d'une grande cité, sans négliger toutefois l'aspect essentiel de la mission :
le maintien de l'ordre Ou, plus exactement,
la lutte active contre l'ennemi fauteur de désordre.
- Convoyer les pommes de terre au marché ou courir après les tueurs,
tout cela avait un dénominateur commun : le para.
- Ces paras qui devaient gagner la Bataille d'Alger sous toutes ses formes, allaient devenir des personnages de légende ou plutôt des personnages de folklore.
- Au reçu des ordres fort vagues émanant du gouvernement : je donnais les miens.
- Ils contenaient un terme essentiel : « quadrilage offensif ».
- Les paras devaient être les éléments de ce quadrillage.
- Leur mise en place fut quasiment instantanée.
- On ne les avait pas vus se mettre en place : on les vit en place.
Une première chose frappa les Algérois :
Saint Michel Patron des Paras.
- Les paras étaient propres.
Tous les régiments sans exception avaient fait un éffort sur la tenue. Les fameuses tenues camouflées ;
« les jardins potagers », disaient les uns,
les « léopards », disaient d'autres.
- Ils étaient toujours ajustées,
- toujours impécables.
« Un paquet de lessive pour une tenue » ;
ça n'arrangeait pas le tissu qui, entre nous, n'était pas fameux
(l'habillement des troupes étant pas la plus belle réussite de l'intendance).
- Ils étaient propres, ils avaient les cheveux bien coupés
(la casquette modèle Bigeard n'est pas portable avec les cheveux longs, le béret non plus)
- et... ils se taisaient.
- Ces paras impeccables et silencieux, se tenant là où il fallait,
Un peu partout dans Alger,
voilà l'un des premiers facteurs de la victoire psychologique qui fut l'objectif essentiel de la
bataille d'Alger.
Les Algérois avaient vu passer beaucoup de soldats :
- Les rappelés débarquaient par bateaux entiers.
Parmi eux, il y avait de tout.
Un jour, la foule regardait arriver une unité particulièrement minable.
Des dockers grommelèrent : « Ce n'est pas avec ces bataillons de femmes qu'ils nous materont. »
Ce n'était pas un bataillon de paras.
- Les paras, c'était autre chose.
On ne tarda pas à s'en apercevoir.
L'une de mes premières instructions porta sur la tenue.
L'essentiel concernait le port du béret :
- le béret serait porté
en toutes circonstances, remplaçant le casque réglementaire
pour les conducteurs de jeeps et de camions et même pour les
motocyclistes.
- Je prenais un risque, mais je donnai cet ordre
sans hésiter :
après tout, les paras étaient différents des autres.
il fallait le montrer, puis le prouver.
- Le même souci, instinctif, de panache, m'inspira pour mon premier ordre du jour :
J'y définissais mon but essentiel : rétablir la confiance.
Comment ? Tout d'abord, en montrant au F.L.N. qu'on n'avait pas peur de lui.
L'ordre du jour contenait cette phrase :
« J'irai me promener dans la Casbah. »
Bigeard, Massu, Trinquier .
On m'a raconté qu'au 1° régiment de chasseurs parachutistes,
le colonel Mayer, dit Prosper
(en souvenir du fameux personnage de la chanson de Maurice Chevalier, riche, comme lui, en succès féminins )
sourit de tous ses yeux bleus en lisant l'ordre et le tendit à son adjoint en disant :
« Faites préparer la prise d'armes pour les obsèques du général Massu. »
- Panache ? Oui.
- Bluff ? Peut-être.
- En tout cas, dans les unités, cadres et hommes étaient contents d'être autorisés à « avoir de la gueule ».
- Sur la population l'impact fut
considérable.
L'une des premières conséquences de cet impact fut la floraison du Renseignement.
- Du seul fait de leur allure extraordinaire :
- mes hommes, avant même d'avoir agi, inspiraient la crainte, « foutaient la trouille »,
- une trouille salutaire, mais dont les terroristes humiliés se vengèrent bien souvent en colportant de sombres histoires, totalement étrangères à la vérité et se résumant paradoxalement ainsi :
« Avec les paras pas de quartier, avec la justice le salut .»
- Or le système Para, aussi logique et propre que possjble,
était infiniment préférable à celui des unités médiocres pratiquant les représailles aveugles à la suite de leurs trop fréquents « coups durs ».
Voici, un exemple ;
- un chef politique de rang moyen est arrêté, conduit au centre de tri de Beni-Messous.
Ayant découvert son importance relative, l'officier para va voir l'officier de police
responsable du centre et lui demande de surveiller étroitement le suspect en vue d'un interrogatoire.
Il recommande de ne pas l'envoyer au camp d'internement et d'éviter qu'il ne s'évade.
L'officier de police appelle une sentinelle et lui montre l'homme par gestes.
Celui-ci s'aperçoit de l'intérêt qu'il suscite et est pris de panique, pensant peut-être qu'on le désigne pour une exécution. Affolé, il est sur le point de sauter par-dessus les barbelés.
Aussitôt après le départ de l'officier para, le captif va voir l'officier de police et se déclare prêt à passer aux aveux ...complets sur les attentats auxquels il se serait livré.
- En fait il n'en a commis aucun, mais il veut être déféré devant le juge d'instruction.
Il est mené au tribunal, fait des aveux, est incarcéré puis se rétracte.
Il s'en tire avec inculpation d'outrage à magistrat,
grâce aux bons conseils de Verges avocat du FLN.
On le met à Barberousse : il est hors d'atteinte des paras.
- A vrai dire, cette « trouille » n'était éprouvée que par les mauvaises consciences.
- Les écoliers d'Alger exprimèrent au contraire leur fierté et leur joie quand les paras les prirent par la main et les ramenèrent à leurs écoles pour une tardive ouverture de rentrée.
La grève scolaire sévissait depuis de longues semaines.
Notre intervention y mit bon ordre.
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